SEIGNEURS DE TRÔO

Le fait, constaté plusieurs fois, que les comtes du Maine avaient gardé Troo dans leur domaine direct et que cette bourgade était restée à part des autres du Bas-Vendômois, a rendu assez obscure l'histoire de sa seigneurie pendant les XIe et XIe siècles.

Il se produisit cependant là, le même cas qu'ailleurs. Les châtelains ou gouverneurs de Troo pour les comtes du Maine eurent aussi l'avantage de voir ces fonctions s'établir dans leur famille, par voie héréditaire. De là vint cette famille nommée de Troia, de Troea, de Troo ou de Trou qui paraît avoir gardé la seigneurie jusqu'à la fin du XIIe siècle.

On rencontre des personnages de ce nom dès le XIe et particulièrement au XIIe siècle.

Et même depuis que la seigneurie leur eut échappé, ils en conservèrent le nom jusqu'au XVe siècle, époque où ils paraissent s'être éteints.

Le château dont ils avaient la garde dut être établi sur la motte de Troo, et se composer d'une tour féodale, en bois probablement, entourée d'une enceinte de pieux, et cela jusqu'à l'époque où Foulques le Jeune, comte d'Anjou et du Maine, jugea à propos de bâtir en 1121 la forteresse à laquelle on donna depuis le nom de Louvre. Reste à savoir si depuis cette époque la même famille qui possédait le gouvernement de Troo par voie héréditaire, continua à demeurer en possession du nouveau château.

Dans l'impossibilité où nous sommes de discerner parmi tous ces personnages ceux qui furent réellement seigneurs de Troo comme châtelains-gouverneurs, nous en donnons ici les noms pris par ordre de date.

 

En 1062, Gauscelinus Troia est témoin de donation à Marmoutier dans un lieu inconnu. Il est accompagné d'Archambaud, prévôt de Vendôme, de Constantin chanoine de St-Georges et de Gervais, fils de Lancelin de Vendôme. (Cart. vendômois de Marm. 81).

 

Entre 1108 et 1125, Mascelinus de Troo est témoin de la liberté d'une serve qui pour moitié appartient à Eudes de Fréteval (id., 33 A).

 

En 1124 et 1128, Gervasius de Troea ou Troia est témoin de dons faits à la Trinité, à l'abbaye de Beaulieu et à celle de Tiron (Cart. de la Trinité, 449; de Tiron, 90; du Ronceray, 199 et 360 ; Gaignières, abbaye de Beaulieu, n° I70).

 

Entre 1128 et 1145, paraissent au Cartulaire de Tiron Mathieu de Troo et Amaury ou Almorrie, son frère ; Sicile ou Sibille, femme de Mathieu de Troo, est fille de Guy Turpin. Ils font des donations à Tiron. (Cart. Tiron, 90, 141 et 282).

 

En 1146, Hamelinus de Troeia est témoin de donation faite a la Trinité près Baugé (Cart. Trinité, 514).

 

En 1151 et 1152. Petrus de Trœia est témoin de dons faits à la Trinité, à Naveil et à Busloup (Cart. Trin 529 et 534).

A la fin du XIIe siècle. Hamelin de Trou est bienfaiteur de l'abbaye de Bellebranche, fondée paroisse de St-Brice en Anjou. (Dom Piolin, IV, p. 97).

 

Au commencement du XIIIe siècle, Amaury de Trou donne aux Templiers des terres près Trou, et à l'Aumône de Châteaudun des biens à Châteaudun même. (Bulletin. vendômois, 1894, p. 55 et Cart. Madeleine de Châteaudun, 30)

 

En 1219, Giscelin de Trou est témoin, avec Jean de Lavardin, du don de l'église de Château-du-Loir. (Abbé Haugou, d'après Cauvin).

Cette famille semble à cette époque du commencement du XIIIe siècle, avoir laissé échapper de ses mains la seigneurie de Troo. Et celle-ci appartient alors à Jean de la Bruère ou Bruyère.

Jean-sans-Terre, roi d'Angleterre, qui avait assigné en douaire à sa première femme Isabelle plusieurs villes, entre autres celle de Troo, paraît avoir retiré le château de Troo à Jean de la Bruyère qui en était seigneur, car le 24 juillet 1202, par une lettre datée de Bonport, il ordonnait à Guillaume de Souday de remettre le château de Troo à Baudouin des Roches.

Mais peu de temps après il le rendait à Jean de la Bruère et lui envoyait comme messager chargé de cette restitution, l'Abbé de Turpenay en Touraine. Ce qui fait que le 10 juin 1203, par une lettre datée de Pont de l'Arche, et adressée aux gens de Troo, le même roi les avertissait qu'il avait rétabli Jean de la Bruyère (sic) dans son droit, et qu'il lui avait à nouveau confié le château de Troo pour le service de ses affaires royales. Il lui avait déjà confié la garde du château de la Chartre dès le 8 janvier de cette même année 1203.

Il est possible que ce Jean de la Bruère ou la Bruyère ait eu ce château de Troo par héritage et comme fils ou mari d'une fille, héritière de l'ainé de la maison de Troo ; mais on n'en a aucune preuve.

Il est à croire que ces La Bruère tiraient leur nom de famille de la seigneurie de la Berruère ou Bruyère de Choue (aujourd'hui Les Berruères).

 

Jean de la Bruère était mort l'an 1217, attendu qu'à cette date plusieurs personnages, parmi lesquels on rencontre W. de Brueria, sûrement son parent, Herbert Torpin (Turpin) et Hamelin de Roorte s'employaient avec les exécuteurs testamentaires du susdit Johannes de la Brueria à arranger un différend, qui de son vivant avait surgi entre lui et les frères du Temple, au sujet de certains biens situés à Troo et dans dans les environs à Chenillé et au Breuil.

 

Geoffroy de la Bruère, sans doute fils du précédent, est dit seigneur de Troo en 1242. Avec sa femme Onoria, il vend à Mathieu Personne. doyen rural de Troo et curé de Fontaines, une terre située à la Couture près Challay. (Arch. L.-et-Cher, G 896).

 

En 1260, il y eut enquête ordonnée par le roi saint Louis et faite par le chevalier Jean de Quarroir et Raoul Magny, bailli de Touraine, sur les violences exercées par ordre de Charles, comte d'Anjou et frère, du roi, sur la personne de Aimeric Guénault, bailli de Geoffroy de la Bruère, seigneur de Troo, et aussi pour avoir pénétré dans la maison de la Papillière, située près de Troo et appartenant à Bouchard Pointvillain, chevalier, vassal du seigneur de Troo et son lieutenant dans la ville et y avoir dérobé diverses choses. Le comte d'Anjou semble, d'après les faits, refuser à Geoffroy de la Bruère la possession du château de Troo, bien que celui-ci, déjà chassé par le comte, ait été réintégré solennellement par le parlement.

D'Anouilh de Salies, qui rapporte ces choses, dit qu'il ignore la fin de ce litige.

 

Mais ces mêmes faits sont rapportés ailleurs, sans toutefois citer le nom de Geoffroy de la Bruère. On dit seulement que le seigneur à qui ces dommages avaient été causés était oncle du comte de Vendôme. Or Geoffroy de la Bruère ne pouvait être oncle du comte de Vendôme que par sa femme Onoria, que l'abbé Simon appelle Honorée ou Honorine, que Noël Mars appelle Aanor dans son histoire de St-Laumer. (Voir Lespinasse, Vie et Vertus de saint Louis par le Confesseur de la Reine Marguerite, P. 306).

Elle était donc une des filles du comte Jean IV. Geoffroy de la Bruère fut définitivement réintégré dans sa seigneurie par ordre du roi saint Louis.

On voit encore ce Geoffroy de la Bruère en 1276. Il cède au curé de Troo et au chevécier du chapitre certaine dime de vin qu'avaient détenue et possédée ses prédécesseurs. (Arch. L.-et-Cher, G 881).

Mais en 1270, au mois de décembre. était intervenu un accord entre le susdit comte d'Anjou et du Maine et Bouchard V, comte de Vendôme, accord d'après lequel le dit Bouchard reconnaissait tenir directement du comte d'Anjou la terre de Troo, sous la condition d'un seul hommage avec les autres fiefs vendômois.

De ce jour, Troo était définitivement soustrait au Maine.

 

Les hommes de Troo étaient déjà, au moins en partie, vassaux du comte de Vendôme, attendu qu'en 1244, on voit Jeanne ou Gervaise de Mayenne, comtesse de Vendôme, faire un accord avec Marmoutier au sujet de la pêche dans le Loir que ses hommes des Roches, de Montoire et de Troo avaient le droit de pratiquer.

Il est probable même que Geoffroy de la Bruère était, à Troo, l'homme du comte de Vendôme. Il paraît être aussi Seigneur de Challay (Haugou).

 

On ne voit plus, aprés cette date de 1276, aucun La Bruère comme seigneur de Troo. Cette famille se rencontre seulement du côté de Mondoubleau. Il est probable que Geoffroy n'eut pas d'enfants d'Honoria sa femme. Mais on trouve encore de nombreux membres de la famille de Troo ou Trou, probablement descendants des cadets des premiers seigneurs.

 

En 1233, Pierre de Troo (Petrus de Troia), chevalier, avec sa femme Gila et ses fils Pierre, Mathieu et Geoffroy, donnaient à l'abbaye de Tiron certains droits d'usage dans les bois d'un lieu appelé Puits du Sac (Puteus Sacci), sans doute proche Grandry.

 

En 1272, un certain Jean de Bicheron, chanoine du Mans, donnait à la Trinité les droits dont il avait hérité de sa sœur Isabeau, veuve de Pasquier de Trou, sur des maisons à Vendôme.

 

En 1285, Macé de Trou était seigneur du Breuil de Lunay.

 

Au XIVe siècle, Haliquant de Bourot, dont la famille était de Neuillé-le-Lierre en Touraine, était capitaine et seigneur de Troo pour le comte de Vendôme. Il avait épousé Isabeau de la Flotte, héritière de cette seigneurie et de celle de Boisfreslon.

 

Il avait reçu en 1369 du comte Bouchard VII la remise de tous droits dus par lui pour raison de son hébergement de Trou qui se trouvait réduit à un denier de franc-devoir pour tout service et toutes charges.

Il mourut vers 1391 et sa femme en I400.

Ils laissaient pour fille et héritière Philippine de Bourot.

En premières noces elle épousa Guillaume de Montigny, fils de Guillaume de Montigny, seigneur de la Jousselinière et d'Agnès sa femme (dont elle eut une fille Isabeau qui porta la Jousseliniere à Hugues du Bellay son mari).

 

En secondes noces la susdite Philippine épousa Almaury de Trou, seigneur de Fontenaille, à qui elle porta la Flotte, Boisfreslon et la capitainerie de Troo. Almaury rentrait ainsi en possession de ce fief qu'avaient occupé ses ancêtres.

De ce second mariage, elle eut :

  1. Macé de Trou qui est seigneur de Fontenaille en 1398;
  2. Jean, qui suit;
  3.  Almaury ou Amaury, qui en 1398 était nommé dans le testament de sa grand-mère Isabeau de la Flotte, laquelle lui laissait une somme de quarante livres. On le rencontre en 1430 passant un acte avec le prieur de Ste-Anne près Vendôme et en 1458 il est témoin à St-Georges du Bois.

 

Jean de Trou, seigneur de la Flotte en 1410. Il avait hérité de Fontenaille à la mort de son frère aîné Macé, en 1399, et de la Galoche de Ste-Anne, même année (Archives. Nationales, p 618, n°53 et 55 ; p 625, n°83 à 85; p 629, n°3, 6, et 7).

 

Il vendit la Flotte au suivant :

Jean du Bellay, seigneur de la Flotte et de Bréhault. Il est qualifié ainsi en 1413. Il paraît fils aîné (d'après Moréri), de Hugues du Bellay et d'Ysabeau de Montigny. Il dut aussi acheter de même la capitainerie de Troo. Il fut fait prisonnier à Azincourt (1415), et mourut sans alliance, en Angleterre. Il dut laisser pour héritier son neveu le suivant :

Jean II du Bellay, 2e du nom comme seigneur de la Flotte. Il dut prendre cette qualité vers 1420. On le rencontre comme tel en 1446 (Archives du Loir-et-Cher, E, 446).

En 1455, il est dit seigneur de Trou et la Flotte. (A de Trémault d'après De Camp, t. 103, p 187).

La capitainerie de Troo ne paraît pas être restée dans sa famille après lui. Du moins les seigneurs de la Flotte cessent d'être revêtus du titre de seigneurs de Trou.

 

Nous ne savons à quelle date cessa d'être habitable le château de Troo.

 

Les comtes de Vendôme semblent avoir partagé en deux cette seigneurie.

La partie haute relevant de Bonnevau la partie médiane et basse relevant de Montoire. On ne peut savoir à quelle date eut lieu ce partage, probablement au XVe siècle, époque où Louis de Bourbon, comte de Vendôme, gratifia de la seigneurie de Bonnevau son fils bâtard Jean, fils de Sibille de Bostun.

Mais des membres de l'ancienne famille de Trou, autres que ceux descendant d'Almaury de Trou, se rencontrent aux XIVe et XVe siècles. - Une certaine Alix de Trou avant 1376 apportait à son mari Pierre d'Arquenay, de grands biens dans le Vendômois, entre autres la seigneurie du Breuil de Lunay.

En 1384, il était dit veuf d'elle et seigneur du Breuil.

En 1395. Luce de Trou était épouse de Raoul, seigneur de Martigny.

En 1428, Huet de Trou est à Lunay, parmi les témoins d'un accord entre les seigneurs de la Loupe et de Tafforeau au sujet de droits dans l'église.

 

A de Maude, dans son armorial du Vendômois, fait savoir à l'article Troo que les anciens seigneurs de Troo, alliés aux Villiers, seigneurs de st. Gervais de vic en 1487, portaient. d'après une peinture qui se voit dans l'église de cette paroisse Saint-Gervais : D'argent à trois flammes de gueules.

Peut-être est-ce dans cette famille de Villiers que cette ancienne maison de Troo ou Trou s'est définitivernent éteinte.

Nous n'en avons plus rencontré de représentants au XVIe siècle.

 

En 1582, la seigneurie de Bonnevau comportant partie de Troo fut vendue définitivement à Gilles de Souvré qui déjà la possédait du chef de sa femme mais comme domaine engagé.

 

En 1609, la seigneurie de Courtenvaux, avec celles de Bonnevau, Vancé et la partie haute de Troo, fut érigée en marquisat en faveur du même Gilles de Souvré, maréchal de France.

En 1610, dans son aveu au duc de Vendôme, Gilles de Souvré déclarait parmi ses vassaux, comme lui devant foy et hommage simple :

" Le chevecier et les chanoines de Troo pour raison des fiefs et domaines du dit chapitre, fief de la chapelle du Milieu et fief du chapitre s'étendant en la paroisse de Troo et ès environs ».

Il citait encore divers fiefs de la paroisse de Troo comme relevant de son marquisat. Il s'intitulait déjà en 1601 seigneur de Courtenvaux, Bonneval, etc... et des Fiefs de Troo.

 

Un autre aveu de 1690, porté par François-Michel Le Tellier, marquis de Courtenvaux, au duc de Vendôme, dit ceci :

« Jean Hamelin, pour le château de Troo, composé d'une chambre à cheminée, antichambre à côté, grange, cellier, puits, cour, jardin, vigne, le tout contenant un arpent ou environ ».

C'est la preuve que ce château était depuis longtemps abandonné comme résidence seigneuriale et qu'il n'était plus considéré que comme maison bourgeoise valant fief, et relevant comme tel, à foy et hommage. du marquisat de Courtenvaux avec les autres vassaux du même marquisat.

 

La Châtellenie de Montoire s'étendait sur la partie basse et moyenne de la ville, ce qui fait que quand se fit l'aliénation de cette châtellenie le 2 octobre 1718, l'acte stipulait que parmi les choses aliénées se trouvait : « Le domaine, terre et seigneurie de Montoire avec toutes les paroisses qui en dépendent y compris les châtellenies de Troo,  les Roches et Lavardin…"

La partie de Troo réunie à la seigneurie de Montoire était donc considérée comme une châtellenie.

 

Les seigneurs de Montoire (en fait les ducs de Vendôme) et les marquis de Courtenvaux eurent un long procès au sujet de la suzeraineté sur le chapitre lui-même de Troo.

 

En 1680, un arrêt du parlement fit défense aux chanoines de reconnaître pour suzerain aucun de ces deux seigneurs comme seigneur de paroisse. Mais à l'époque où le Paige écrivait (vers 1760), ce procès durait encore entre les deux seigneurs qui avaient entre eux des contestations au sujet de la délimitation de leurs fiefs à Troo même.

Finalement, le marquis de Courtenvaux, pour indiquer le centre de son fief, avait fait mettre un poteau à ses armes sur la place, en face l'église et le marquis de Querhoent, comme seigneur de Montoire, en fit dresser un autre portant aussi son écusson, sur la place du Marché. Le château de la Voûte relevait de Montoire comme étant sur la pente du coteau.

Les revenus de la seigneurie de Troo, partie afférente à Montoire, n'ont jamais été bien considérables.

En 1558 ils se montaient à la somme de 21 livres, 13 sols.

Le château de Troo est aujourd'hui totalement ruiné ; on en voit encore des restes de remparts vers l'Ouest. L'ancien donjon réduit à une hauteur de quelques mètres est devenu maison bourgeoise.